PAS DE ROSES SANS EPINES...

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« Allô ? Bonjour, je souhaiterais 500 kilos de pétales de roses pour mon mariage. Demain, c'est possible? »

 Quand la patronne d'une franchise « Monceau Fleurs » à Saint-Tropez, a reçu cet appel d'une personnalité du show-biz, un mardi matin, elle n'a pas paniqué. La fleuriste a aussitôt contacté son franchiseur et fournisseur, la Générale des Végétaux à Paris qui lui a assuré que le coup était jouable.

Une fois le bon de commande enregistré, il a en effet suffi de trente-six heures à la centrale d'achats de « Monceau Fleurs » pour importer directement de Colombie près de 12 000 roses, les effeuiller une à une sur sa plate-forme d'Orly, avant de les expédier sur la Côte d'Azur. Le mercredi midi, tout était prêt un hélicoptère, loué par la société, pouvait jeter une pluie de pétales aux pieds des mariés nageant dans le bonheur.

« Un exploit ? Pour un champion de la logistique confirmé » se flatte le PDG  de « Monceau Fleurs », Laurent Amar, «  c'est presque la routine, chaque jour nous effectuons près de 18 000 opérations à travers le monde. »

 

Sans pour autant vouloir gâcher le prochain repas de famille dominical du lecteur qui a la bonne habitude, en arrivant, de poser entre les cacahuètes et le vin de noix un bouquet, force est de constater que la provenance de ses cinq roses est la même !
Certes le volume change et sans doute n'aura-t-il pas choisi l'hélicoptère pour épater définitivement la belle-mère...


La globalisation n'a pas de limites et va se nicher là où on ne l'attend pas nécessairement.


On apprenait hier, dans la sphère des franchises, que le groupe « Monceau Fleurs », donc, avait racheté à 100% son concurrent français « Rapid'Flore » et devenait ainsi leader mondial du secteur.  


Nos jardins du nord... au sud.


Dominique Munier, directeur général de « Monceau Fleurs » le dit :

« Nous faisons ce que l'on appelle de la mise en culture, et ce dans le monde entier. Nous avons de la mise en culture au Kenya, en Malaisie, en Thaïlande, en Colombie, en Équateur, en Égypte. »

Egalement choisis comme jardins, l'Afrique du Sud, l'Ethiopie,  le Zimbabwe. Et puis Israël, gros producteur et la Chine  bien évidemment.

Pour la fleur, aujourd'hui, il n'y a plus de saison ni de frontière. L‘Equateur réalise le quart de la production mondiale de roses ! Pour la fête des mères en Europe, c'est 40 millions de roses qui passent alors en 10 jours par Quito. Le pays approvisionne aussi 80% du marché russe...


Par exemple, dimanche matin à 8 heures, les fleurs sont coupées en Equateur, puis transportées à l'aéroport de Quito. A midi, un avion embarque la cargaison vers la France. Lundi soir avant minuit, les bottes sont confectionnées sur la plate-forme d'Orly, puis acheminées par camion jusqu'aux centaines de points de vente. Le mardi matin à 8 heures, les bouquets sont en devanture des magasins. Frais et piquants. Sans hélicoptère...


Mais à quel « prix » ?

Le secteur de la fleur coupée est touché par la mondialisation provenant notamment de pays à faibles coûts de production où les conditions de travail restent inacceptables.


« Une mondialisation recolonisatrice » (1)



La provenance exacte des différentes variétés de fleurs, de même que le nombre de salariés qui travaillent sur la plate-forme d'Orly (qui est fermée à la visite...), restent confidentiels. ( ?) « On touche là au centre névralgique de notre métier », justifie Laurent Amar. Tout juste sait-on que la société possède des antennes dans 25 pays, répartis sur les cinq continents. Depuis le rachat de « Rapid'Flore » la devise sera certainement « plus vite, plus fort, plus loin. »


Pour une rose vendue 30 centimes aux franchisés son prix en boutique avoisine 2 ou 3 euros, contre 3 à 4 euros chez un fleuriste traditionnel. Cherchez l'erreur... Combien à l'entreprise du Sud ? Et surtout combien à l'ouvrier local ?


Le lac Naivasha



L'horticulture donne pourtant à 500 000 Kényans le sentiment de survivre et rapporte à l'économie nationale des centaines millions de dollars par an, constituant la troisième source d'entrée de devises du pays.



Pour produire des fleurs coupées qui partiront comme produit d'exportation vers les Pays-Bas, porte d'entrée pour l'Europe, le revers de la médaille  aussi bien environnemental qu'humain n'est pas brillant. Ces aspects ont été soulignés lors d'une conférence organisée par la Commission kényenne des droits de l'homme. Les groupes écologistes ont déclaré que les pesticides utilisés par les cultivateurs menacent le lac Naivasha autour duquel de nombreuses plantations sont concentrées. Le lac est un des rares lacs d'eau douce du Kenya.


Il faut un éclairage artificiel 24 heures sur 24, et un arrosage constant. Les engrais, pesticides et autres produits chimiques utilisés dans ces serres industrielles sont hautement toxiques. Malgré le code en vigueur du Kenya Flower Council, les eaux résiduelles sont parfois mal retraitées et déversés dans le lac. Le dérèglement climatique n'arrange rien. N'appréciant guère l'instabilité des eaux, «  plusieurs espèces d'oiseaux ont déjà disparu, ou ont migré vers d'autres lacs ». Quatrième ville la plus importante, Nakuru est la ville voisine. Il y a quelques décennies, Nakuru n'était qu'une paisible bourgade d'agriculteurs à 160 kilomètres au nord-ouest de Nairobi. Avec une industrialisation rapide, immigrés, paysans et éleveurs appauvris, saisonniers à la recherche de travail sont venus gonfler la population des rives du lac, de manière anarchique.

 



Les roses et les oeillets sont les spécialités de la région du lac Naivasha, mais à terme, le lac ne pourra donc satisfaire l'intégralité de la demande en eau. David Harper, biologiste à l'université de Leicester, surveille le niveau du lac depuis dix-huit ans pour le compte de l'ONG Earthwatch. « Les besoins en eau sont si importants qu'on est en train de sacrifier le Naivasha, affirme-t-il. Presque tous les Européens qui ont mangé des haricots ou des fraises kenyans ou contemplé des roses kenyanes ont acheté de l'eau du Naivasha. On est en train d'assécher le lac. On va en faire un étang aux eaux stagnantes  et nauséabondes, sur les rives duquel des populations misérables tenteront de survivre. »


Selon Fred Pearce, journaliste spécialiste de l'environnement et auteur de Quand meurent les grands fleuves [éd. Calmann-Lévy, 2006], « le monde produit aujourd'hui deux fois plus de denrées alimentaires qu'il y a une génération, mais il consomme trois fois plus d'eau pour les cultiver. Les deux tiers de l'eau collectée dans la nature servent à l'irrigation. Cet usage intensif ne pourra pas durer éternellement, ce qui fait dire à beaucoup que l'apocalypse n'a pas été évitée, mais seulement retardée. »



Mais, pour les paysans qui se retrouvent sans eau à cause de grosses exploitations qui l'ont pompé en amont, il est source de difficultés considérables et d'une dégradation irrémédiable de l'environnement. «Nous sommes en train d'exporter la sécheresse. La culture de produits à forte valeur ajoutée est bénéfique pour l'économie de ces pays, mais ses effets sur la pauvreté sont inégaux. Durant la saison sèche, les paysans dont les terres sont situés en aval [du réseau d'irrigation] se retrouvent  avec des lits  de rivière à sec », estime Bruce Lankford, maître de conférences en ressources naturelles à l'université d'East Anglia, à Norwich, en Grande-Bretagne.


Alors, sur la Côte d'Azur...?


 Dans le Var et les Alpes Maritimes, la pression foncière a balayé l'essentiel des serres horticoles. On y construit des maisons luxueuses au-dessus desquelles des hélicoptères déversent des pétales de roses colombiens.  Il existe encore, pourtant, une production locale. Mais, distribution oblige, une fleur coupée en France peut passer par Amsterdam, la plate-forme, pour finalement être vendue en France ! Entre temps elle aura parcouru 3000 kilomètres. Le bilan carbone reste « meilleur » que celui de notre rose colombienne, mais la planète a du mal à avaler aussi toutes ces épines.


Sensiblement les fruits et légumes de saisons commencent à retrouver une place dans les habitudes des consommateurs. Le poisson, lui, semble encore ancré « hors sol » et « hors saison » au quotidien.


La fleur est le symbole d'une mondialisation sans loi ni raison. L'urgence pour sauver ce qui reste à sauver ne peut passer que par une relocalisation urgente de l'économie.  



(1) selon l'expression de Vandana Shiva

 

Publié dans Nord - Sud

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